Psychogénéalogie : les secrets de famille nous aident à mieux nous connaître
Elle.fr - 6 juin 2021
Par Caroline Michel
Si une thérapie s’avère utile pour dénouer certaines situations et mieux se connaitre, la psychogénéalogie s’impose aujourd’hui comme une discipline capable de nous apporter des clés de compréhension supplémentaires, en nous proposant de plonger dans notre histoire familiale.
« Dans toutes les familles, il y a des cadavres dans le placard », lance la psychologue Evelyne Bissone Jeufroy, auteure de « L’héritage invisible » (éd. Larousse). Ces « cadavres » ce sont des évènements tragiques vécus par nos ancêtres qui n’ont pas été « digérés » et verbalisés et que nous sommes susceptibles de porter en nous aujourd’hui. C’est précisément ce à quoi s’intéresse la psychogénéalogie, discipline qui s’impose de plus en plus. Avortement, perte d’un enfant ou d’un proche, accident dramatique, chagrin d’amour ou encore deuil inachevé sont autant de drames silencieux qui constituent notre histoire familiale et qui, des années plus tard, peuvent expliquer nos états d’âme, nos angoisses ou encore certains de nos comportement
Nous partageons un inconscient familial avec nos proches
« Nous vivons prisonniers d'une invisible toile d'araignée dont nous sommes aussi les maîtres d'oeuvre », liton dès la première page de « Aïe, mes aïeux », best-seller mondial de la psychothérapeute Anne Ancelin Schützenberger paru pour la première fois en 1988. Une toile d'araignée qui se tisse au gré des évènements familiaux tenus secrets. Ce qui n'est pas dit, exprimé et assimilé – par honte, pudeur, dignité – se charge émotionnellement. Ce poids, que l'on pourrait presque comparer à « un cadeau empoisonné », se transmet de génération en génération – voilà pourquoi on parle également de lien transgénérationnel et par extension de « thérapie transgénérationnelle » lorsque l'on décide de s'intéresser au roman de notre famille.
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La science à l'appui
L'épigénétique, discipline de la biologie qui s'intéresse à la façon dont les gênes s'expriment ou non, « montre qu'un traumatisme peut atteindre les cellules germinales, soit les ovules ou les spermatozoïdes, de celui qui l'a vécu, et donc permettre la transmission de fragilités corporelles et/ou psychiques », poursuit la psy.
A cette « empreinte génomique » s'ajoute la communication invisible dans la vie familiale quotidienne. « Nous absorbons de nos proches certaines informations, et ce même en silence », ajoute la psychopraticienne. Cela signifie que les comportements des parents, mais aussi ce qu'ils portent en eux, sont ressentis par les enfants. Nous intégrons alors ces « poids du passé ». Bien entendu, si nous héritons d'un bagage familial parfois compliqué ou douloureux, nous ne le subissons pas toujours. « Un même évènement peut avoir des effets différents sur les générations suivantes, poursuit Barbara Couvert. Parce que les places et les rôles dans la famille sont différents pour chacun, parce que chacun d'entre nous interprète les événements à sa manière et que chacun fait des rencontres qui orientent sa vie. » À ça, on ajoutera également que l'héritage est réversible : puisque les gênes sont « libres » de s'exprimer ou non, nous pouvons, grâce à la thérapie, parvenir à les « faire taire » pour ne plus subir un traumatisme qui ne nous appartient pas.
Un outil thérapeutique qui n'a rien d'un loisir
Les professionnels sont formels ; la psychogénéalogie n'est pas un passe-temps. Même si la curiosité peut d'abord nous saisir, c'est un véritable désir de mieux se connaître et de se libérer qui nous pousse à aborder la discipline. Rien à voir, donc, avec l'engouement récent pour les tests ADN afin de « savoir d'où l'on vient », bien que nous puissions y voir une analogie. En effet, selon la psychologue Evelyne Bissone Jeufroy, également disciple d'Anne Ancelin Schützenberger, si la psychogénéalogie fait des émules, ce n'est pas seulement parce que les médias s'emparent du sujet, mais aussi parce que nous sommes de plus en plus éloignés de nos familles : « Aujourd'hui, on manque de racines. Nous ne suivons plus la route de nos parents, nous ne nous conformons plus à une classe sociale. L'individualisme prime mais cette liberté nouvelle est déstabilisante », détaille la psychologue.
Ainsi, en nous replaçant au coeur d'une lignée, la psychogénéalogie peut nous sécuriser. Elle nous rappelle également que notre réalité est bien plus complexe que ce que nous voulons bien en voir.
La réponse à certaines questions en suspens
Il apparaît clairement que la psychogénéalogie ouvre de nouvelles clés de compréhension de soi. Grâce à elle, nous pouvons davantage cerner nos émotions, mais aussi nos comportements : « par loyauté familiale, nous essayons parfois de réparer des choses », explique Barbara Couvert. Qui sait si l'histoire d'amour dramatique d'une aïeule ne nous conduit pas aujourd'hui à chercher le grand amour, en vain, par besoin de panser un chagrin qui subsiste dans l'inconscient familial ? Qui sait si cette peur d'être enceinte, ou mère, ne vient pas de la mort en couche d'une arrière-grand-mère ? Un besoin de fuir, de ne pas s'ancrer, ne pourrait-il pas s'expliquer par l'immigration de nos ancêtres ? Tenter de répondre à ces questions pourra nous libérer ; nous ne vivrons plus et ne supporterons plus ce que nous portons et ravivons malgré nous.
Attention cependant : l'objectif de la psychogénéalogie n'est pas de se dédouaner en pensant que « ce n'est pas de ma faute si je suis déprimée ou enfermée dans un schéma ». Si notre héritage familial nous constitue, notre vécu s'en mêle. Comment dès lors distinguer « la part de soi » et « la part des autres » ? « Quand le moment de s'intéresser à la psychogénéalogie arrive, on le sent. On sent que quelque chose ne nous appartient pas, que nous portons le poids d'un traumatisme passé ou que nous essayons de le régler en répétant inlassablement un même comportement », précise Evelyne Bissone Jeufroy. Une tristesse difficile à identifier, un comportement qui se répète sans grande explication, une phobie très présente – voilà qui peut nous interpeller.
Constituer son génosociogramme : et si je ne sais rien ?
La psychogénéalogie s'appuie sur l'élaboration d'un génosociogramme, que l'on nomme parfois génogramme. Un simple raccourci, car la notion de « socio » est très importante : « On ne se contente pas de réaliser un arbre généalogique avec des dates de naissance et de mort de nos ancêtres ou des personnes proches de la famille », indique Barbara Couvert. Le contexte est essentiel. À quelle période sommes-nous ? Que se passe-t-il « autour » de nos aïeux à ce moment-là ? Quel est leur cadre de vie ? Quels métiers exercent-ils ?
Aussi, et avec l'aide d'un spécialiste qui se chargera de nous poser les bonnes questions pour nous aider à fouiller dans notre mémoire et notre « version » de notre inconscient familial, nous annotons sur l'arbre généalogique les évènements annexes, comme un incendie dévastateur, l'existence d'un chien adoré, un voyage déterminant… Mais que faire si nous avons le sentiment de « ne rien savoir » ? Peut-on prétendre à une thérapie transgénérationnelle sans avoir la moindre d'idée du vécu de nos ancêtres, notamment parce que certains évènements sont tenus secrets ? A ce propos, Evelyne Bissone Jeufroy se veut rassurante : « L'inconscient sait tout, et grâce à un lien de confiance avec le thérapeute, des éléments peuvent surgir. » En effet, si les secrets sont par définition secrets, les non-dits, qui peuplent les familles, représentent quant à eux des informations connues de tous mais dont personne ne parle. Et nous les portons probablement en nous. C'est donc guidé par le praticien que le patient alimente son génosociogramme pour tenter de mesurer les non-dits familiaux et leur impact sur notre vie actuelle. « Aucune vérité ne pourra réellement sortir, la vérité appartient à nos ancêtres », recadre de son côté Barbara Couvert. Mais à force d'échanges, d'indices, de pistes, certaines pièces du puzzle s'imbriquent. On découvre des synchronicités, des répétitions dans les évènements, des comportements qui font écho en nous. Nous ne découvrons pas tout mais pouvons supposer, questionner, et trouver des éléments de réponses. Si possible aussi, il est toujours utile de questionner sa famille et de partir en enquête, ce qui peut au passage nous rapprocher de certains membres de la famille.
La peur de transmettre à son tour, un vrai sujet
Certaines personnes, avant même de devenir parent, ou bien en passe de l'être, se questionnent fortement sur la possible transmission de traumatismes familiaux à leur descendance. A ce propos, Evelyne Bissone Jeufroy réagit : « Je me souviens, lors d'une formation que j'ai animée, trois femmes enceintes étaient là. Un déclic peut en effet survenir lors de la grossesse, au moment même de transmettre la vie », remarque la psychologue.
Néanmoins, la crainte de léguer un quelconque héritage négatif ne doit pas s'imposer. « Si cette peur est importante, cela peut signifier que la future maman ou le futur papa a lui-même conscience de porter un poids qui ne lui appartient pas », suggère Barbara Couvert. On peut aussi explorer l'origine de la peur ellemême, qui trouve peut-être réponse dans notre histoire. Cette peur existait-elle déjà chez nos ancêtres ? Une question qui mérite là aussi d'être posée : elle ouvre la discussion et peut nous conduire à nous libérer, enfin, des maux de nos aînés.
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